CHAIRE DE RECHERCHE
DU CANADA SUR LA JUSTICE INTERNATIONALE PÉNALE
ET LES DROITS FONDAMENTAUX

Décision de confirmation des charges dans l’affaire Al Hassan : commentaires d’experts - Partie III

Amoulgam Azé Kerté

Azé Kerté Amoulgam est Assistant d’enseignement au cours de Droit international pénal, humanitaire et des droits de la personne et Auxiliaire de recherche à l’Université Laval. Il est candidat au doctorat en droit et sa thèse porte sur le régime juridique de la mise en liberté dans le système du Statut de Rome. Il est titulaire d’un Master en gouvernance et intégration régionale de l’Université panafricaine et d’un Master en droits de l’homme et action humanitaire spécialisation contentieux des droits de l’homme de l’Université catholique d’Afrique centrale. Il est auteur de deux ouvrages et de plusieurs articles et a effectué un séjour de stage au Bureau du Conseil Public pour la Défense de la Cour pénale internationale. Il appartient à plusieurs cercles scientifiques et de recherche dont la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, le Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient (CIRAM), le Partenariat canadien pour la justice internationale (PCJI), le Conseil canadien de droit international (CCDI), la Société québécoise de droit international (SQDI) et l’Association internationale de droit pénal (AIDP). Il est récipiendaire de plusieurs prix et bourses dont la bourse d’excellence à l’admission de l’université Laval, la bourse d’excellence académique du CIRAM et la bourse de stage de la CPI.

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Nom de famille 
Kerté
Prénom 
Amoulgam Azé

Cheick Bougadar Diakite

Cheick Bougadar Diakite est Responsable du litige stratégique pour le Mali chez Avocats sans frontières Canada.

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Nom de famille 
Diakite
Prénom 
Cheick Bougadar

Gonzague Dupas

Gonzague Dupas est conseiller juridique volontaire chez Avocats sans frontières Canada.

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Nom de famille 
Dupas
Prénom 
Gonzague

Julia Grignon

Julia Grignon est professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et Chercheuse à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Institut de l’École Militaire (IRSEM). Elle est spécialisée en droit international humanitaire et dirige Osons le DIH !, un développement de partenariat pour la promotion et le renforcement du droit international humanitaire. Elle est codirectrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire.

Consultez le profil complet de la professeure Grignon.

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julia.grignon@fd.ulaval.ca
Nom de famille 
Grignon
Prénom 
Julia

Moussa Bienvenu Haba

Moussa Bienvenu Haba est doctorant en droit international à l’Université Laval. Dans le cadre de sa thèse, il travaille sur le rôle des tribunaux hybrides dans la consolidation de la paix dans les pays en transition. Monsieur Haba est titulaire d’une maitrise en droit privé (Université de Conakry) et d’une maitrise en droit international (Université Laval).

Dans le cadre de sa formation à l’Université Laval, M. Haba a participé à plusieurs projets de la Clinique de droit international pénal et humanitaire et de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux. Il a également occupé les fonctions d’assistant de recherche et d’enseignement en droit international pénal et en droit international des réfugiés. Il est actuellement chargé du cours de procédure et preuve en droit international pénal.

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Nom de famille 
Haba
Prénom 
Moussa Bienvenu

Fannie Lafontaine

Fannie Lafontaine est professeure de droit à la Faculté de droit de l'Université Laval et directrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire. 

Pour plus d'information, cliquez ici.

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Nom de famille 
Lafontaine
Prénom 
Fannie

Claire Magnoux

Claire Magnoux est actuellement candidate au doctorat au sein de l’Université Laval sous la supervision de Fannie Lafontaine. Son sujet de thèse est intitulé « Les politiques de poursuites du Procureur de la Cour pénale internationale ».

Après un master en droit comparé et politique internationale (Université de Clermont-Ferrand), elle a passé un an en Bosnie-Herzégovine (Brcko) dans une ONG dont le mandat est la réconciliation entre les communautés. Dans le cadre de son volontariat, elle a coordonné des projets culturels impliquant enfants, adolescents et jeunes adultes.  Elle a également effectué un stage au sein du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) à Bruxelles, dans la section Afrique.

Elle est membre du comité de coordination de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux.

Suivez Claire Magnoux sur Twitter: @Claire_Mgnx

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Nom de famille 
Magnoux
Prénom 
Claire

Catherine Savard

Catherine Savard est étudiante à la maîtrise en droit à l'Université Laval sous la supervision de la professeure Fannie Lafontaine. Elle est assistante coordonnatrice du Partenariat canadien pour la justice internationale depuis 2017, membre de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, et collabore régulièrement avec la Clinique de droit international pénal et humanitaire. Elle a représenté l'Université Laval à l’occasion du concours Jean-Pictet en droit international humanitaire en 2018. Elle a contribué à l’analyse juridique du génocide de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, rendue publique en juin 2019. Ses recherches portent sur le génocide, le colonialisme, l’interprétation des traités et la décolonisation du droit international. 

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catherine.savard.19@ulaval.ca
Nom de famille 
Savard
Prénom 
Catherine

Érick Sullivan

Érick Sullivan est avocat, directeur adjoint de la Clinique de droit international pénal et humanitaire (Clinique), coordonnateur du Partenariat canadien pour la justice internationale (PCJI), co-éditeur du blogue Quid Justitiae et membre du Conseil d’administration du Conseil canadien de droit international.

Détenteur d’un baccalauréat en droit (2009), il a été recruté en 2010 par la Clinique comme auxiliaire puis nommé au poste de directeur adjoint en 2012. À ce titre, il a été impliqué dans plus d’une cinquantaine de projets proposés par des organisations internationales, des organisations non gouvernementales (ONG), des État set des avocats touchant à plusieurs domaines du droit. À ces occasions, il a notamment codirigé une cartographie des droits humains réalisée par Avocats sans frontières Canada au soutien de la Commission Vérité et Réconciliation malienne.

Depuis 2010, il a supervisé les recherches de plus de 300 étudiants et révisé des centaines de travaux. Il a aussi contribué de différentes manières à de nombreux événements scientifiques, comme le séminaire sur la collaboration entre les autorités nationales et les ONG visant à traduire en justice les responsables de crimes internationaux, qu’il a co-organisé en mars 2018 à Ottawa.

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Nom de famille 
Sullivan
Prénom 
Érick

Philippe Tremblay

Philippe Tremblay est conseiller juridique senior chez Avocats sans frontières Canada.

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Nom de famille 
Tremblay
Prénom 
Philippe
8 Juillet 2020

[Partie I - Partie II - Partie IV]

 

4.     Des charges de crimes contre l’humanité qui reflètent le caractère systématique des attaques perpétrées

Dans la Décision de confirmation des charges [« DCC »] dans l’affaire  Al Hassan, la Chambre préliminaire a adopté une conclusion importante en confirmant que les actes de torture, de viol, d’esclavage sexuel, de mariage forcé, de persécution ainsi que d’autres actes inhumains commis contre la population civile de la région de Tombouctou par des membres de la coalition Ansar Dine/AQMI étaient constitutifs de crimes contre l’humanité. Cette décision rend bien compte de la nature et de l’ampleur des crimes commis contre la population civile de cette région, en application de la politique imposée par les membres de ces groupes armés (Bureau du Procureur, Situation au Mali : Rapport établi au titre de l’article 53-1, para. 132; Al Mahdi, Jugement, paras. 10, 63 et 109; DCC, para. 171).

La Chambre a conclu à l’existence d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile de Tombouctou par la coalition Ansar Dine/AQMI. Les membres de ces groupes armés visaient ainsi à contrôler la population par la violence, à travers l’édiction unilatérale de nouvelles règles méconnues de la population et assorties de sanctions sévères (DCC, paras. 182-183). Les actes de violences perpétrés par Ansar Dine/AQMI, loin d’être un simple agrégat de gestes isolés ou fortuits, constituaient une véritable campagne de violence, caractéristique d’une attaque dans le cadre des crimes contre l’humanité (DCC, para. 175; Bemba, Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, para. 149). Cette campagne de violence était généralisée par sa portée, et systématique par son mode opératoire régulier et répétitif (DCC, para. 190; Katanga, Jugement, para. 1162; Ntaganda, Jugement, para. 693).

La Chambre a particulièrement tenu compte du ciblage des femmes et des filles, ayant confirmé un large éventail de charges relatives à des crimes sexuels et basés sur le genre. L’affaire Al Hassan constitue ainsi une nouvelle opportunité pour la Cour pénale internationale [« CPI »] de se pencher sur les violences sexuelles et basées sur le genre, se distinguant en cela de l’affaire Al Mahdi, où aucune charge de crime sexuel ou basé sur le genre n’avait été portée.

Toutefois, en ce qui a trait au crime contre l’humanité de persécution pour motifs religieux, il est malheureux que la Chambre ait manqué l’occasion de reconnaître explicitement la destruction des mausolées de Tombouctou en tant qu’acte sous-jacent à ce crime international (voir notamment Blaškić, Jugement, paras. 227-233; Kordić, Jugement, paras. 206-207).

5.     Une porte ouverte vers un développement historique de la notion de genre en droit international pénal

La confirmation de la charge de crime contre l’humanité de persécution basée sur le genre doit être saluée en ce qu’elle concrétise une occasion sans précédent pour la CPI de clarifier la notion de genre telle que définie dans le Statut de Rome[1]. En effet, ce crime est le seul qui réfère explicitement au concept de genre. De plus, c’est la première fois qu’une telle charge est portée devant la CPI[2], qui est par ailleurs le premier tribunal international pénal à pouvoir connaître de ce crime, le motif de persécution étant absent des statuts des tribunaux ad hoc.

Lors de la négociation de l’article 7(3) du Statut de Rome, lequel définit le genre, un important débat divisait deux groupes idéologiquement opposés, l’un cherchant à limiter la définition du genre aux deux sexes biologiques, et l’autre visant l’adoption d’une définition plus large qui tienne compte du contexte de la société (Oosterveld, 2005, pp. 58-66). Les partisans des deux camps s’entendant sur la désirabilité d’inclure une définition dans le Statut, celle retenue s’avère être « constructivement ambiguë », c’est-à-dire qu’un langage imprécis a délibérément été utilisé afin d’accommoder les opinions divergentes (Oosterveld, 2014, p. 567). Ainsi, en vertu de l’article 7(3) du Statut de Rome, le genre « s’entend de l'un et l'autre sexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société. Il n'implique aucun autre sens ». En l’absence d’une clarification jurisprudentielle, le débat persiste quant au sens à donner à cette définition, et la polarisation idéologique présente à Rome perdure encore aujourd’hui.

Dans l’affaire Al Hassan, la Chambre préliminaire n’a pas explicitement pris position dans ce débat, mais son analyse semble suggérer qu’elle tient compte aussi du contexte social et non seulement des caractéristiques physiques et biologiques des individus. En effet, son analyse concernant les actes de persécution basée sur le genre appert intimement liée aux rôles sociaux et à la perception des femmes dans la société visée par les actes des membres d’Ansar Dine/AQMI. La Chambre a noté que la « persécution subie par les femmes a entraîné la perte de leur statut social au sein de la population civile de Tombouctou » (DCC, para. 701). Elle a affirmé que les violences perpétrées contre les femmes étaient constitutives de « persécution pour motifs sexistes, en ce que ces femmes étaient traitées comme des objets » (DCC, para. 700; emphase ajoutée). En d’autres termes, la Chambre a considéré que les femmes n’étaient pas seulement attaquées en raison de leur sexe biologique, mais plutôt en raison de ce qu’elles étaient perçues comme des objets dans le contexte de la société dont elles faisaient partie (pour un point de vue similaire, voir Grey et al, 2019, p. 977).

En somme, la confirmation de la charge de persécution pour motifs sexistes contre Al Hassan pourrait permettre à la CPI d’offrir une première interprétation de la définition du genre en droit international pénal, ce qui aura sans doute des répercussions bien au-delà de cette affaire. Une interprétation du concept de genre qui tienne compte de la composante sociale propre à ce concept pourrait en effet impliquer que le crime de persécution basée sur le genre englobe certains actes de persécution perpétrés en fonction de l’orientation sexuelle (Oosterveld, 2005, p. 77-78), ce qui constituerait une avancée majeure pour les droits des personnes touchées par de tels actes.

Article in english here.


[1] Bien que la version française de l’article 7(3) du Statut utilise le terme « sexe », les autres versions officielles du texte utilisent des termes qui se traduisent plutôt comme « genre ». Par exemple, les termes gender et género sont utilisés en anglais et en espagnol, plutôt que sex et sexo, qui se traduiraient plutôt par « sexe ». Dans le but de pallier cette lacune de la version française, le Bureau du Procureur a effectué dans son Document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste une distinction entre les concepts de sexe « au sens générique » (gender) et « au sens biologique » (sex). Pour des fins de clarté et de concision, dans le cadre du présent document, le terme « genre » a été préféré à « sexe au sens générique » ou à « sexe tel que défini à l’article 7(3) du Statut de Rome ». De même, le concept de « persécution basée sur le genre » est utilisé comme synonyme de « persécution pour des motifs sexistes ».

[2] Ce crime avait été inclus dans le mandat d’arrêt émis en 2010 contre Callixte Mbarushimana, mais n’avait ultimement pas été inclus dans le document de notification des charges.


Site web : https://cpij-pcji.ca/fr/

Twitter : @CPIJ_PCJI

Le Partenariat canadien pour la justice internationale est financé par une subvention de 5 ans du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et par des contributions en espèces et en nature de chacune des organisations partenaires.


Image vignette : "File:International Criminal Court building (2016) in The Hague.png" par OSeveno licence sous CC BY-SA 4.0

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