CHAIRE DE RECHERCHE
DU CANADA SUR LA JUSTICE INTERNATIONALE PÉNALE
ET LES DROITS FONDAMENTAUX

La résolution de l’UE du 23 mai 2013 ou la piqure de rappel de l’UE à l’État rwandais sur le respect de la démocratie et de l’État de droit

Élise Le Gall

Élise Le Gall : Docteur en droit pénal international et européen de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, elle est également Élève-avocat au sein de L'Ecole de Formation professionnelle des Barreaux de la Cour d'Appel de Paris (EFB). À ce titre, elle occupera dès janvier 2015 le poste de collaboratrice juridique auprès du procureur général des Chambres africaines extraordinaires du Sénégal pour une période de 6 mois, avant d’intégrer un cabinet d’avocat parisien en charge des dossiers rwandais de compétence universelle. Elle a également été coordinatrice de la Coalition Française pour la Cour pénale internationale (CFCPI) depuis janvier 2013 ; référante sur la promotion de la proposition de loi Sueur visant à modifier l’article 689-11 du CPP français et portant adaptation du droit français au statut de la Cour pénale internationale. Elle a œuvré, par le passé, au Tribunal pénal international pour le Rwanda (ONU) au sein de l’équipe de défense de l’ancien ministre du gouvernement intérimaire de 1994 Callixte Nzabonimana. Elle est également fondatrice de la plateforme Chroniques internationales collaboratives visant à promouvoir la diffusion francophone du savoir et de la réflexion juridique concernant la justice pénale internationale et les relations internationales.

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Nom de famille 
Le Gall
Prénom 
Élise
17 Juin 2013

Victoire Ingabire, nous ne t’oublions pas !

 

Victoire Ingabire Présidente des Forces démocratiques unifiées  et son avocat britannique Me Ian EdwardsLe 23 mai 2013, une résolution d’urgence (2013/2641- RSP) a été adoptée par le Parlement européen de l’Union européenne dans le cadre des débats portant sur les cas de violation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit concernant la situation au Rwanda. Mais davantage encore, cette résolution du Parlement européen a mis en avant le procès dont fait l’objet l’opposante politique Victoire Ingabire.

Victoire Ingabire est une de ces femmes qui transperce d’une lumière saisissante la pénombre du chemin long et tortueux de la démocratie et de l’État de droit au Rwanda. Un parallélisme vient souvent à l’esprit lorsque l’on prend le temps d’étudier son parcours avec celui d’une de ses semblables ayant connu les mêmes affres en Birmanie, lui valant alors parfois d’être la « Aung San Suu Kyi africaine ». Un parallélisme qui remportera surement l’adhésion à la condition qu’elle en connaisse la même fin heureuse et libératrice. C’est sans aucun doute le message politiquement enrobé qui semble avoir motivé cette courageuse résolution d’urgence du Parlement européen.

Contexte

 

Victoire Ingabire est une femme politique rwandaise, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU) qui représente un parti d’opposition au Rwanda. En 2010, au regard  de la situation politique, elle décide de revenir au Rwanda et de se présenter aux élections présidentielles face au Président en exercice et ancien commandant du Front patriotique rwandais (FPR), Paul Kagame. Mais son retour est très vite perturbé par son arrestation en raison de poursuites pour complicité de terrorisme et pour crime « d’idéologie du génocide ». S’en suivra, en octobre 2012, une condamnation en première instance à 8 ans d’emprisonnement pour atteinte à la sûreté de l’État et banalisation du génocide. Son procès a lieu en ce moment et d’après les déclarations de ses avocats et d’experts, celui-ci semble être entaché de nombreuses irrégularités qui perturbent le caractère équitable de son procès. C’est dans ce contexte qu’intervient la résolution du Parlement européen du 23 mai dernier.

Sur la résolution du Parlement européen

 

En premier lieu, il ressort de la lecture de la résolution du Parlement européen que les eurodéputés s’inquiètent de ce que « le procès n’ait pas respecté les normes internationales » et demandent entre autres aux autorités judiciaires de « garantir la séparation des pouvoirs, et en particulier l’indépendance du système judiciaire ». En effet, depuis le début des procédures, il était reproché à l’État rwandais de procéder à des actes de tortures, d’intimidations des témoins, de détentions illégales et de disparitions. Malgré les déclarations successives du Ministre de la Justice rejetant ces allégations, les députés européens portent voix de ces préoccupantes allégations pour un État devenu membre observateur au siège de l’ONU :

I.   considérant qu'en mai 2013, après avoir témoigné contre Victoire Ingabire devant la Haute Cour rwandaise en 2012, quatre témoins de l'accusation et un co-accusé ont révélé à la Cour suprême que leurs témoignages avaient été falsifiés; considérant qu'une organisation de droits de l'homme de premier plan a fait part de préoccupations au sujet de leur "mise au secret prolongée" et de "l'utilisation de la torture pour extorquer des aveux".

Les eurodéputés ne manquent pas non plus de rappeler que l’Union européenne a formellement fait part de ses vives préoccupations en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme et du droit à un procès équitable au Rwanda au regard de l’article 8 de l’accord de Cotonou dont le Rwanda est pourtant signataire.

En second point et à la lecture de la résolution, il convient de porter un regard plus accentué sur le fait que les eurodéputés demandent aussi à l’État rwandais d’assurer « la liberté d’expression » et invitent à cet effet – mais pas seulement - le gouvernement rwandais à « réviser la loi sur l’idéologie du génocide afin de respecter les obligations du pays au titre du droit international ».

C’est sur cette base que Victoire Ingabire a donc été condamnée en première instance. Pour bien saisir le caractère restrictif et violateur de cette loi sur la liberté d’expression, il convient d’orienter sa lecture sur le rapport concernant « l’idéologie du génocide », publié en 2006 par le Sénat rwandais[1]. D’après ce rapport, l’idéologie prend la forme d’une critique politique souvent partisane et injuste. Il cite, pour clarifier le propos, des exemples tels que : « régime totalitaire muselant opposition, presse, liberté d’association et d’expression » ou encore « mauvaise conscience de la communauté internationale qui ne condamne pas assez le pouvoir post génocide ». Cette interprétation étendue de « l’idéologie de génocide » érige ainsi en infraction l’expression d’opinions dissidentes qui sont pourtant autorisées par les traités internationaux. En ce qui concerne Victoire Ingabire, elle fut condamnée pour « idéologie de génocide » et « divisionnisme », notamment pour avoir soulevé la question des crimes de guerre du FPR. Il semble alors juste d’objecter que demander à ce que des crimes soient poursuivis ne constitue pas pour autant un discours de haine. Or, ce n’est pas ce que semble retenir le Procureur général Ngogo déclarant : « Le problème c’est la philosophie sous-jacente. Ce n’est pas une question de criminalité, mais de philosophie. L’insistance (sur l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre du FPR) n’est pas fondée sur l’inquiétude de voir un groupe oublié. Non elle repose sur une tentative de minimiser l’ensemble de l’opération génocidaire »[2]. Les poursuites menées en vertu d’une loi vaste, mal définie, et contrevenant à un autre principe essentiel qu’est la liberté d’expression présent dans l’ensemble des corpus de textes internationaux sont ainsi dénoncées dans le corps de cette résolution du Parlement européen. 

Par cette résolution salutaire du Parlement européen, les eurodéputés demandent à l’Union européenne avec d’autres donateurs internationaux d’exercer une pression continue afin d’encourager la réforme en faveur des droits de l’homme au Rwanda. Finalement, par cette résolution et son accent mis sur le procès de Victoire Ingabire, il est à retenir « que le procès pénal de Victoire Ingabire, l'un des plus longs dans l'histoire du Rwanda, revêt une importance particulière, tant politiquement que juridiquement, en tant que test de la capacité du système judiciaire rwandais à traiter des affaires politiques à fort retentissement de façon équitable et indépendante ». Mais ne tâchons pas d’oublier que derrière ce concept abstrait ou encore théorique de « test » se cache l’avenir concret d’une femme au courage émouvant, à la lumière de ces destins qui ne demandaient pas à être brisés en plein vol.

 

[1] Sénat Rwandais, Rwanda. Idéologie du génocide et stratégies pour son éradication, 2006, p.17. n. 6.

[2] Procureur général Martin Ngoga cité dans Nick Wadhams, « Rwanda : Anti-Genocide Laws Clashes with Free Speech », Time, 5 mai 2010.

 

 

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